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PREMIERE PARTIE
reconstruction, phonologie

 1 - Reconstruction et correspondances
 2 - Phonologie
    A - La consonne
        A.1 - le proto-basque
        A.2 - l'Indo-européen
    B - Les laryngales
    C - Les sonantes
    D - Les voyelles
 
 
Pour les comparer, il faut connaître l’histoire des changements phonétiques [des langues] ce qui a été fait pour l’essentiel en ce qui concerne l’Euskera par Luis MICHELENA
dans ... Fonética histórica vasca.

1 - Reconstruction et correspondances

Les langues indo-européennes (le basque est réputé ne pas en être) sont d’ouest à est : les langues celtiques (le gaulois disparu, l’irlandais, le breton, le gallois, le cornique) ; le latin qui a donné les langues romanes ; les langues italiques (vénète, osque, ombrien pélignien, etc. disparus) ; les langues germaniques (got. disparu, anglais, allemand, langues nordiques) ; l’albanais ; le grec dont on suit l’évolution du IIe millénaire a.c. à nos jours ; les langues baltiques (vieux prussien disparu, lituanien, lette) ; les langues slaves. En Asie Mineure : l’arménien, le phrygien (disparu) ; les langues anatoliennes (disparues) : hittite, louvite, palaïte, lydien, lycien.

En Asie Centrale : les langues indo iraniennes, du Veda et de l’Avesta aux temps modernes ; le “tokharien” (disparu) : Divers témoignages attestent l’existence de plusieurs autres langues i.-e. disparues comme le “pélasgique” antérieur au grec, le mycénien qui serait un proto-grec mais d’avant la descente des envahisseurs grecs depuis les Carpates dans la Grèce actuelle, les îles et les côtes anatoliennes.
  Pour reconstruire les langues, on recherche des correspondances entre elles portant à la fois sur la forme et sur des termes de vocabulaire de base : noms de parenté, parties du corps, pronoms …
Ces comparaisons ne peuvent être valables qu’en tenant compte de la régularité des changements phonétiques des diverses langues : Il faut donc connaître l’histoire de ces changements, ce qui a été fait pour l’essentiel par Luis MICHELENA en ce qui concerne l’Euskera : Fonética histórica vasca.
 
Pour élaborer des correspondances dans le vocabulaire et la grammaire, on est conduit à simuler les évolutions : entre bsq. AITOR “père” (mythique dans la langue moderne) et skr. pitá, lat. pater, got. fadar, on a v.irl. athir, osq. pâtir et au départ de toutes ces formes atta, bsq. grec, got., hitt. etc, “père”.

Le verbe latin serō, i.-e. /*spher-/*sper/ /-/ se prête à plusieurs significations :

• “semer” la plus attestée, gr. speirō “sperme” et lat. semen “semence”, “germe” ;
• “planter”, plus rare ;
• “enfoncer” en anatolien seulement ; attestation officiellement admise.

La reconstruction interne consiste à chercher à l'intérieur même d'une langue comment telle forme a pu s'élaborer en recherchant des analogies dans d'autres formes, portant sur la racine, la préfixation- suffixation, les mécanismes de dérivation et de composition, en tenant compte des règles de l'évolution phonétique, des laryngales qui ont disparu, mais qui aussi ont pu se réaliser par des phonèmes de substitution, etc. Exemple : basq. EZAGUN "connaître, connaissance", les anciens disent le plus souvent ZAGUN/ZAU-TU/ZAU-TZA. Si l'on veut provisoirement classer le /e/ initial dans les prothèses, terme qui cache médiocrement notre ignorance, il nous reste ZAGUN. Or, /ZA/ se retrouve dans d'autres mots : ZABAL, ZAPATU, ZAKAR etc., semble-t-il en préfixe. Il reste /GUN/ que la comparaison externe permettra d'identifier pour ce qu'il est : verbe "connaître" ; ex. germ. kann "connaître" ; le lat. nōscō (de gnōsco, gr. gignōscō) maquille au premier regard la comparabilité avec bsq. EZAGUN, nōscō ayant perdu une partie de sa base.

On peut déjà supposer que ZAGUN pourrait correspondre à "diagnostic" : le repère de la préposition-préverbe gr. /δία-/ (dia- = "à travers") confirme. En effet, Chtr. 395 /ζα/ : « forme éolienne pour /δία-/, rare comme préposition […] mais fréquent surtout en composition avec un sens superlatif "très", notamment dans les composés épiques ». Ceci débroussaillerait la voie vers l'identification de ZABAL, ZAPATU "(très) large", "marcher dessus". Il reste encore le /e/ initial "prothétique" : l'analogie le trouve dans de nombreux verbes basques : EBIL, EKHAR, EDEK, ETHOR, ETXEK, EMAN, EKUS… Ne s'agirait-il pas d'un /-EN/ "alors" ?

Pour répondre à cette question, on prendra parmi les analogies possibles EGON "demeurer". Pour quelle raison se conjugue-t-il au prétérit NENGOEN, HENGOEN, GENODEN, GENGOEN /NI/ "je" + /EN/ "?" + /GO/ "racine verbale" + /EN/ "?".

Parmi les diverses hypothèses, voyons celle de l'augment : particule de phrase en i.-e.: gr. /e-/, skr. /a/ signifiant "et puis ?", "alors ?". Nous avons en Euskera EN-GOITIK "dès-or-mais" :
/*UNE/*EN/ "moment, point du temps ou de l'espace" + /GOI/ "plus, au-delà, au dessus" + /IK/ désinence d'extractif, équivalent de la préposition lat. /ex/, gr. /ἐξ/ "hors de, de l'intérieur de". Ainsi, le prétérit NENGOEN signifierait "MOI-ALORS-RESTER-ALORS " soit le moderne "je restais, je demeurais". A comparer au prétérit du gr. ε-λυ-ον ï *εν-λυ-ο-εν "je déliais, je libérais".

La reconstruction s'appuie sur une typologie diachronique (changements historiquement attestés) qui en principe manquerait en euskera, par défaut de textes anciens, mais déductible de l'analyse des formes "fossilisées" d'une grammaire antérieure, figée, et sur une typologie synchronique qui offre des structures existantes.

« Il n'y a aucune raison de supposer que les langues préhistoriques fonctionnaient, s'organisaient et évoluaient autrement que les langues des époques ultérieures ». Cf. J. HAUDRY, L'indo-européen, PUF, 1994.

La reconstruction, dans la mesure où elle atteint un système linguistique révolu est aussi fiable que les descriptions d'une langue vivante. Mais des zones d'ombre subsistent : les signifiants grammaticaux, très instables et qui se renouvèlent : prépositions, postpositions conjonctions… lui échappent souvent, mais pas toujours, cf. ci-dessous certains suffixes et certaines désinences de cas.
 
2 - Phonologie

Les phonèmes reconstruits se classent suivant leur fonction parmi les sons articulés du langage.

A - LA CONSONNE

La consonne est un son comportant une obstruction totale ou partielle en un ou plusieurs points du conduit vocal. Le passage de l'air sur cet obstacle provoque un bruit qui constitue la consonne ou un élément de la consonne. Suivant que la fermeture ou le resserrement du conduit vocal se fait avant ou après la prononciation d'une voyelle, la consonne est dite implosive ou explosive. Il y a des consonnes voisées, non voisées, consonnes nasales et orales, tendues, lâches, suivant autant de modes d'articulation. Consonnes occlusives à fermeture totale du conduit vocal ; les fricatives à simple resserrement du conduit vocal ; les affriquées combinent occlusion et frication ; les vibrantes pour lesquelles l'écoulement de l'air est interrompu par de brèves occlusions successives ; les latérales à écoulement d'air de part et d'autre de l'occlusion centrale ; les glides (semi-consonnes ou semi-voyelles) où le conduit vocal est à peine plus serré que pour les voyelles.

Les occlusives affriquées et vibrantes sont dites "momentanées" ; les autres sont dites "sonantes" (ou "continues " ou "duratives").

Enfin, suivant la nature de l'articulateur : pharynx, larynx, lèvres, incisives, palais antérieur/central/postérieur, voile du palais, luette, pointe de la langue, revers de la pointe, dos de la langue… on aura des consonnes glottales, vélaires, labiales, dentales, alvéolaires, gutturales, apicales, dorsales… etc. et des combinaisons des unes et des autres : epico-vélaires, dorso-vélaires.

Les consonnes de l'indo-européen (occlusives).
Sources: J. Haudry, L'indo-européen, PUF, 1979
Les consonnes du proto-basque (résumé)
Sources: L. Michelena, Fonética histórica vasca,
1961-1977
 
3 séries
4 ordres
sourdes
glottalisées
aspirées
Dorsal d'avant
*k
*g
*gh
Dorsal d'arrière
*kw
*gw
*gwh
Bilabiale
*p
*(b)
*bh
Apico-dental
*t
*d
*dh
Elles sont classées en :
Fortes (sourdes)          
 
(p)
t
k
tz
ts
N
L
R
Faibles (sonores)            
 
b
d
g
z
s
n
l
r

A.1 - le proto-basque (consonnes)

Le /h/ aurait une forte présence dans le proto-basque, mais, comme il a pratiquement disparu dans les dialectes du sud, L. MICHELENA ne s’étend guère dessus.

Le /p/ aurait à peine existé et le /m/ pas du tout. Ce dont nous doutons : les formes modernes à /m/ ont souvent des doublets en /mb/ ou en /b/ : MUNUZE/BUNUZE, ZURRUMA/ZURRUMBA, mais nous hésitons sur l’inexistence du /m/ dans le basque archaïque : HAMU/*HAMBU– HABE/EMBOR ? SEME/SEMBE mais AMAIA/AMA ? MIN et MINBERA ?

Dans l’orthographe conventionnelle de l’euskera : /z/ = /s/, /s = /š/, /x/ = /ch/ ou /c/.

Les trois sonores /b/d/g/ se seraient prononcées sans une fermeture complète des lèvres, dents et voile. C’est le cas encore du parler courant de Garazi : EWATSI pour EBATSI “dérober”, NEWIA par NEGUA“hiver” Aldude, EYIA pour EGIA, etc. Et dans les toponymes : ETXEWERRIA, OLAWARRIA pour ETXEBERRIA, OLABARRIA.

Le /N/ et le /L/ “forts” se seraient confondus avec /n/et /l/ dans les premiers siècles de notre ère. Les consonnes actuellement palatalisées et transcrites /tt/dd/tx/ñ/ll/ auraient également existé dans le proto-basque.

L. MICHELENA s’est basé sur les inscriptions aquitaniques des trois derniers siècles a.j.c. une soixantaine de documents en caractères latins mais laissant transparaître des noms communs, des patronymes, des théonymes clairement euskériques. Cela est à la fois peu pour des conclusions aussi nettes, et beaucoup pour permettre d’établir la similitude approximative de la phonétique du protobasque et de la langue actuelle.

Place des diverses consonnes dans le mot en proto-basque
A L'INITIALE
AU MILIEU
EN FINALE
b-, (d), g-
z-, s-
n-, l-
-b-, -d-, -g-
-z-, -s-
-n-, -l-, -r-

-p-, -t-, -k-
-tz-, -ts-
-N-, -L-, -R-
-tz, -ts
-N, -L, -R

Seules les consonnes douces (faibles) pouvaient commencer le mot en proto-basque, les fortes (sourdes) seules le terminer. Ainsi, d’après Michelena et ses disciples, un mot qui commence ou se termine par /p/t/k/ n’est probablement pas du basque archaïque. Mais PITZ “éclore”, “ressusciter”, KARBE “grotte”, TOKI “lieu, site” ?

Le /d/ ne pourrait se trouver à l’initiale, mais DITI “mamelle”, DEITZI “traire” ? Il est vrai que ces formes admettent des doublets TITI, JEITZI. Ces termes sont choisis parce que leurs équivalents mimétiques sont attestés dans les langues i.-e. à date ancienne (cf. lexique). Un mot de proto-basque ne pourrait débuter par deux consonnes accolées, ni admettre à l’intérieur du mot des syllabes comme /bla/, /tre/, /klo/, /kra/, très ordinaires dans le lat., le gr., le celtique, etc. (cf. ci-dessous la théorie de la racine). À une initiale de gr. en /kt-/, le lat. répond par /h/, le véd. par /ks/, le tokh. par /tk/, le hitt. par /tek-/ et le basque par /h/, /k/, /t/, /x/, /z/ et /b/ ! Cf. ci-dessous les séquences de consonnes.

A.2 - l'indo-européen (consonnes)
(J. HAUDRY, op. cit. p. 10)

- Les séries résultent du regroupement de phonèmes reconstruits sur la base de correspondances, sauf /*b/ qui n’apparaît que dans deux ou trois formes reconstruites : lat. dēbilis “sans force”, v. ind. bálam “force” qui semble remonter à l’i.-e. commun.

Or, l’absence d’un /b/ dans un système qui comporte d’autres labiales est une anomalie typologique : on pense donc que la série correspondante ne doit pas être reconstruite comme sonore mais comme une série glottalisée où l’absence d’une articulation labiale est normale. Ceci rejoint les faits basques et proto-basques : ARNAWRRIA (Irissary) ARNAGA-BERRIA, IÑAWRRIA BIÑA-BERRIA (Estérençuby).

On suppose que l'i.-e. a eu des prénasalisées dans un stade ancien (A. MARTINET, Des steppes aux Océans, p. 169, cité par J. HAUDRY), de sorte qu’on peut réunir des formes équivalentes, mais phonétiquement irréductibles, en /*bh/ et /*m/ de certains cas obliques. De nouveau, les faits basques rejoignent ce point de vue : ZURRUMA (Estérençuby) “chute d’eau”, “cascade” et gr. ῥεῦμα (ϝ/wreuma) “courant d’eau” et ZURRUMBA “barrage de moulin en rivières”, Azk. II, 478.

- Les ordres : Les dorsales posent problème. La correspondance lat. centum/kentum/ : indo-iran. *šatám, suppose une dorsale d’avant ; la correspondance de l’interrogatif et indéfini “quel”, lat. /quo-/qui-/, gr. /πο-/-/, indo-iran. /*ka-/*či-/, suppose une dorsale d’arrière. On peut évoquer bsq. ZELAN/KOLAN (Zaraizu) : interrogatif ZELAN “comment ?”, démonstratif KOLAN (pour BN HOLAN) “de cette façon, ainsi” ; zer ? “qua rēs ?” KAUR, KORI, KURA (pour HAU[R], HORI, HURA) “ceci, cela près de toi, cela là-bas”. Les faits tendent à suggérer que le basque a eu cette troisième série aspirée de l’indo-européen, qui, éclatée en formes dialectales, se perpétue encore.

L’i.-e. n’avait qu’une seule fricative /*s/ à large spectre d’articulation de /s/ à /š/ et même /z/ devant phonème sonore /*nizdo/ “nid” /ní-sed/ “se poser”.

- Les séquences de consonnes provenant de morphèmes différents sont parfois simplifiées en i.-e. : /*t-t/ /tst/ d’où v. ind. /tt/, gr /στ/, lat. /ss/. En face de hitt. tekan , tokh. A tkam, en gr. χθών, véd. ks̥am, (lat. humus) “terre” où l’on observe des intervertions des séquences dentale dorsale : /tk/χθ-ks̥/ et des simplifications : /tek/tk/, /ks̥am/hum-/bsq. xume “humilis”.

- Séquences consonantiques et quelques formes issues de la racine “terre” en indo-européen et en basque

INDO-EUROPÉEN
EUSKARA
Grec : χθών (khthṓn) “terre, surface du monde, pays ”

Grec : χθαμαλός (khthamalos) “bas, à ras de terre”, “humble”, “vil”.

Tokharien : tkam “terre”. .....................................

Hittite : tekam “terre”.........................................

Phrygien : ζεμελως (zēmelōs) “de terre, terrestre”,
épithète de Dionysos.
(voir ci-dessous) »» /*gzh-/ .................................

Sanskrit : kṣā́h̨, ks̥am “terre”...............................

Avestique : z, génitif zəmō “terre”........................

Lituanien : žēme ...............................................
/*gzh-/ »» /(dh)ghom/ »» /dheghom/ ......................
expliquent la simplification au degré zéro, th. II, expliquerait les initiales à /χ-/ et une métathèse
»» gr. /χθ-/ ....................................................
Chtr. 1259
/*gzh-/ ..........................................................


Grec : χαμηλος (khamēlos) “qui est à terre, bas vulgaire”

Gotique : guma “homme” de /*ghom-en-/
“enfanté par la terre”. .......................................

Islandais
: guma “id.”

Latin : humī “à terre”, locatif de humus “terre”.............
Grec : χαμαί (khamaí) “sur terre, à terre”.

Lituanien : zēmas “en bas”....................................

Les initiales ci-dessus ont fait supposer une initiale complexe en i.-e, une ancienne occlusive palatale à explosion sifflante /*gzh-/ (Chtr).

Ombrien : hundra “infra”.......................................

Osque : hutruis “in ferris”......................................
TOKI “lieu”, “endroit”.

TAMAL “malheur, déplorable, pitoyable”.


TOKI “lieu”

TOKI “lieu”

TAMEL “abattu, déchu, sans énergie, qui s’abandonne”.
» BUZ-TIN “argile, d’argile”, cf. /*gzh-/
» XITUN “penaud, confus, capot”, “profil bas”.
» XUME “humble”, “modeste”.

» XUME “humble”, “modeste”.

» XUME “humble”, “modeste”.
» TXUKUN ? “sale”, Azk. II, 337.


» KUTSU “tache, résidu, contamination”.

» HATZ “pied ?”, skr. pāts, lat. pēs, gr. pédon “sol” de poús “pied”, sans doute de même racine originelle.
» TAMEL “bas, abattu, déchu, méprisable”, absent de Azk. et Lh. cf. LAGOURGUE, Lantabat 64, mot employé dans toute la BN.

UME
, KUME, HUME “enfant”, “petit de”.



BE, PE “en bas”, “dessous”.


BE, PE “en bas”, “dessous”.





HONDAR “dépôt, sédiment, sable, ce qui est au fond” et
OIN “pied”, HUNKU “souche”, etc.
B - LES LARYNGALES

La notion de laryngale fait l’objet de débats entre linguistes. Phonétiquement, elles seraient à
  l’origine des consonnes. F. de SAUSSURE qui avait pressenti leur existence
les avait appelées “quasi-sonnantes”, puis le déchiffrage du hittite les pré-sente sous l’aspect de /h/ et /hh/. Une articulation occlusive ou fricative
sert dans une langue à former divers phonèmes et se combine le plus
souvent avec quelque autre articulation, fréquemment glottale, per-
met tant ainsi de constituer des séries de phonèmes qui s’opposent
entre elles : l’articulation occlusive apicale donne /t/ dans la série de
sourdes, /d/ dans la série des sonores ; l’articulation labio-dentale
fricative donne les séries en /f/ sourdes et /v/ sonores. Il en irait
ainsi des laryngales. En fait la tendance qui domine c’est de lire le hit.
// comme l’ach-laut de l’allemand, comme la jota de l’espagnol ou
de l’arabe, soit une fricative dorso-uvulaire sourde. Ces laryngales
 
  confèrent une coloration aux voyelles :

/*e/ correspondant à /h/ ou zéro, sans effet colorant /eə1/
/*a/ correspondant à hitt. /hh/ ou zéro, à coloration /a/ /2/ /χα/ /γα/
/*o/ correspondant à /h/ ou zéro, à coloration /o/ /3/ /χο/ /γο/
(A. MARTINET, Evolution, 125)
Hitt. : paḫḫur/n- “feu” : ailleurs /*péwr-/*pun-/ que l’on rencontre en :
- gr. : πῦρ “feu” : /*peə2-w-r/ /péə2ur/
- bsq. : /BUR-/ dans BURDIN “métal, fer, ayant feu” "métal, fer" sans doute, lat. ferrum
- arm. : hur “feu”.
- v. norr. : furr “feu”.
- lat. : formus “chaud”.
- gr. : θέρομαι ? (théromai) “se chauffer”, qui reposerait sur la racine /*ghwer/, parallèle de /*peə2-w-r/ ?
- bsq. : BERO “chaud ?”.
- arm. : ǰer “chaud”.
- skr. : haras “chaleur”.

TABLEAU DE LARYNGUALES (A. MARTINET, Evolution, 127)
 
VÉLAIRES
LARYNGUALES
GLOTTALES
SANS LABIALISATION

Glotte ouverte

Voix



χ

γ




ε


h

?
AVEC LABIALISATION

Glotte ouverte

Voix



χw

γw


w

εw
 

Ces correspondances, au premier abord déroutantes, s’expliquent mieux à la lumière de la théorie des laryngales. L’articulation d’un segment phonique déborde souvent sur les segments voisins : un [n] étendra sa nasalité au segment phonique qui le précède ou le suit, ce qui s’explique par le temps nécessaire à l’abaissement ou au relèvement du voile du palais. Ces “empiétements” seront de plus affectés par l’accent, l’intonation propre à la langue, le rythme, l’expressivité recherchée, etc. d’où la vraisemblance phonologique (A. MARTINET) des laryngales. Ce linguiste résume ainsi la théorie : « [le] // () hittite a toutes chances de représenter une articulation fricative d’arrière fond aussi profonde ou plus profonde que n’importe quelle autre articulation de la langue, mais on ne saurait aller plus loin ». Evolution des langues, 116. C’est “le précédent phonétique” qui explique l’aspiration du grec ἧπαρ (hēpar) “foie”, face à lat. iecur, skr yr̥krt : /*y/ /h/, comme germanum yermano hermano en castillan.

Ainsi, peut-on expliquer comment bsq. EOREN/EUREN “leur(s)”, génitif singulier/pluriel du pronom personnel complexe de 3e personne EU/HU, répondant à lat. eorum “leur(s)”, se réalise dans les dialectes de l’Est et en Navarre BERE(N). L’usage moderne veut que /–n/ de la finale distingue le pluriel du singulier. Le lat. fait au singulier de son coté /e-j-us/eius/, une semi voyelle.

De même bsq. ARAUERA “à la mesure (ARA-U) de” ARABERA.

Certaines familles de mots présentent un écheveau de formes déconcertantes autour d’un même noyau sémiotique, et l’on n’a quelque chance d’éclairer les faits que par le recours aux laryngales.

Le morphème basque /JO/ “frapper, battre, lancer, jouer d’un instrument”, prononciation jota au sud. Gr. ἱημι (hiēmi) “lancer, envoyer, émettre (un son)”, “sonner” donne :

- EHO “moudre, tuer, tisser, digérer, rouer de coups, etc.” HERA/GERA “gésier” : cette alternance h/g permet le rapporochement, d'une part, avec lat. hīra “tripes”, étrusque haru haruspex, d'autre part, avec skr. giráti, gr. γαστήρ (gastēr), bsq. GERRI “ventre, panse” ; bsq. HERTZE “boyau”. Lat. fūnuseris  “funérailles”, sans étymologie, M. 262, gr. φόνος (phónos) meurtre θείνω (theinō) “frapper”, “tuer”.
- EHUN “metier à tisser, mesure à l’usage des tisserands, toile tissée, tissu”, v.h. a. weban “tisser, tresser”.
- HEBAIN-DU “frappé d’épuisement, abattu”.
- EHAIN, EHAITE “moudre, tisser, digérer”, gr. ὑφαίνω (huphaínō) “tisser” /*webh-/,
/*ubh-/, Chtr 1163.
- EHULE “tisserand, meunier”, suffixe /LE/ d’agent, i.-e. /lo/, peut être du verbe /LEHI/LEI/ “désir, volonté” anthroponyme EHULE-ETCHE ; substantif OIHAL “tissu, toile”. Lat. uēlum.
- EHAIL (absent chez Azk. et Lh.) “battre à mort”, peut être à l’origine de /HIL/ “tuer”, cf. anglais to kill “tuer”. EHAIL/EHAL-I est une formation sur base EHULE “batteur, tisserand” déjà suffixée sur un EHAIN/EHUN, soit une hypostase qui reçoit une désinence verbale primaire /I/ (deuxième hypostase).
- HANTU “rosser” (Estérençuby, Iholdy) skr. hanti, hitt. kuen-zi ”frapper, abattre”.
- JOKA verbe “donner des coups, lancer le jeu, copuler”, “entreprendre une action”, “agir, faire”, à suffixe /–KA/ itératif. Substantif : “querelle, bagarre”, “germe qui donne le foetus”, “jeu”, “pari”. Lat. īeō frapper”, iaciō “jeter”, ioccus “jeu”, gr. aoriste de ἷημι : ἧκα, Hom. ἕηκα (hēmi, hēka, heēka) et ἕωκα (heōka) ; mycén. ı̊j̊esi. Gr. parfait ἔθηκα moy-passif, répond à lat. fēci.
- JOKI “il a frappé, il a engagé, il a entrepris”, forme archaïque à interprétation ambiguë : soit parfait, cf. ERAMAKI, JOHAKI, soit valeur de gérondif avec suffixe /–KI(N)/ de comitif fr. “avec l’entrée en vigueur de … ”, cast. “al entrar”.
- BAHE “crible” anciennement “toile à mailles ajourées en crins” ARMIA-BAHO /ARMI- BAHO “toile d’araignée”, Estérençuby, Absent chez Azk. et Lh., qui donnent ARMIRIMAO “araignées”, Azk. 68 et ARMIARMA “id.”/skr. ūrṇa-ā́bhi “la tisseuse de laine” i.-e. /*wḗbh/.

Dans cet apparent bric à brac, les linguistes font intervenir plusieurs “racines” : /*ghwen/ (gr. θείνω) ; /*-/ de lat. serō “planter, semer”; /*wḗbh/ pour ὑφαίνω.

Un autre radical confondu parfois avec le précédent :

Bsq. JOAN/JUAN /IOA/ “aller”, lat.  “je vais” /*eyō/, M. 117 ; NIOA “je vais”, DIJOA “il (s’en) va”, au sud en jota ; impératif HOA, HIOA, OA (Sud) “va”, cf. XORITTUA HABILHOA “oiselet marche va !” (chez ma bien-aimée).

Bsq. GAN, GATEN, GATU (Λ) “aller”. Il s’agit du même mot que JOAN mais le segment à semi-voyelle (yod) /IO-/JO-/ se réalise avec la gutturale /G/. Le grec le fait avec la bilabiale /β/ : βαίνω (bainō) “marcher, se mettre en mouvement”, dont le présent repose (Chtr. 156) sur *βαν-yω (*ban-iō) issu de βαμ-yω qui répond bien au basque GAN. Racine /*gwem/*gw/ à l’origine de venir, bsq. /JIN/GIN/ “venir, naître”.

On peut supposer que bsq. ZAPATU “presser, écraser, rabaisser, piétiner” doit correspondre à quelque δια-ϐαινω πατέω (pateō) ”marcher sur, piétiner” (gr. βατεω “couvrir une femelle” est rendu par bsq. GAIN-KATU construit sur une racine bien différente : /GAR/ “tète” GARAIN “en haut”, locatif inessif contracté en GAIN , l’itératif /–KA/ “monter”, GEREINO “étalon”, GIRI “bon pour la monte”.

Le nom basque du vent marin qui annonce l’imminence de la tempête meurtrière, ENBATA, amenant au sommet du mât YELSO “un dieu oiseau-de-feu”, terreur des marins, s’expliquerait-il par quelque rapport avec le gr. ἐμ-ϐατευω (em-bateuō) “fréquenter, occuper”, notamment en parlant d’une divinité tutélaire (trag., D.) Chtr. 156 ? [il s’agirait d’un phénomène électrique provoqué par l’orage. Les lieux de la côte où se seraient signalées de telles “présences” auraient été placés sous la protection de Sainte Barbe, patronne des pompiers], explications recueillies à Saint-Jean-de-Luz dans les années 1960.

Lat. iter-, itineris , à suffixe d’agent-instrument “chemin”, hitt. iter “route”, tokh. A ytar “chemin”, dérivent de la racine de ION et lat. .

Le bsq. ABIAN “démarrer”, ABIA actuellement utilisée pour “vitesse” est, sans doute, un emprunt pur et simple du composé lat. abeō s’en aller”, lui-même à rapprocher de skr. apa-eti, du gr. ἄπ-ἔιμι, got. afiddja.

Le morphème IOA-N /JOA-N du bsq., réalisé GAN/GA-TEN dans le parler côtier, βαν en gr, se retrouve avec bilabiale sourde en véd. panthą̄ḥ, avest. pantȧ “chemin”, lat. pons, pontis “pont, passerelle”, gr. πάτος (pátos) “chemin” et peut-être ποντος ”mer” (au sens de lieu de passage, cf. Le Pont = mer entre la péninsule grecque et l’Ionie).

Ainsi la théorie des laryngales est-elle intéressante pour tenter de déchiffrer les structures et les éventuelles correspondances des formes basques.
C - LES SONANTES

Les sonantes sont des phonèmes qui fonctionnent selon les contextes soit comme consonnes (y), soit comme voyelles (i), ou cumulent les deux fonctions, /iy/ (J. HAUDRY, op. cit., 17).

Il y en a six : /*y/, /*w/, /*r/, /*l/, /*m/, /*n/.

Les langues indo-européennes n’auraient eu originellement qu’une nasale en finale absolue : /*n/ ou /*m/. Des rapports particuliers existent entre /*m/ et /*w/, par exemple pour les suffixes possessifs /*-ment/ et /*went/ ou pour le verbe bsq. composé /*ER WAN/ (prononciation de EROAN/IRUAN /ERA-/IRA-/ factitif + /JOAN/ = “faire aller, emmener, emporter”, où l’on trouve probablement une laryngale). Ce verbe a un doublet ERAMAN. Tous les deux traduisent lat. ferre, gr. φερω, φορειν (pherō, phorein) “porter, transporter” quelque chose ou quelqu’un ; cf. bsq. ERREN “brue”/gr φερνή (phernḗ) “dot apportée par la mariée” ; bsq. ERNARI “femelle gestante”, ERDI “mettre au monde”, etc.

Dans l’indo-européen, les sonantes en finale de mot avaient tendance à disparaître. C’est encore le cas pour certains dialectes basques : ZIAN “il était” Orbaizeta ZIA, mais aussi en Soule (Laguinge). En principe la nasale demeure la désinence d’inessif /–N/ pour éviter la confusion avec le cas non marqué du participant patient au procès (l’erreur est source de gags).

La forme consonantique de i.-e. /y/ apparaît dans certains dialectes bsq., sans que pour autant la forme vocalique en soit absente… (Estérençuby). HANDIEGI “ trop grand” HANDIEI et HANDIXE ; bizk. UMIXE pour UMIE “l’enfant” (/x/ pour /y/ ou /j/). Il s’agit d’apophonie, comme du reste pour l’i.-e. où le système des sonantes serait récent. Bsq. AMAREN, génitif “de la mère” AMAIEIN ; GANEN “on s’en ira”, futur GAEN GAN ; JINEN/GINEN “viendra, naîtra”
JIEN, GIEN et même JEIN/GEIN (Orsanco).

La substitution d’une sonante par une autre est observée en euskera : /L/N/ dans ULHAIN “gardien des troupeaux” (S), UN(H)AI “id.”, ailleurs ; LEHI/LEI “désir” NAHI “désir, volonté”; LAPHUR “voleur” NAPHUR id.”.
D - LES VOYELLES

Le basque compte cinq voyelles /a/, /e, /i/, /o, /u/ (/u/ coloration du français /ou/, sauf dans une partie des formes en Soule qui ont /ü/ aussi), et les diphtongues du proto-basque auraient été /ai/, /ei/, /oi/, /ui/, /au/, /eu/. Selon L. MICHELENA, les semi-voyelles /j/ et /w/ n’existaient pas. On peut penser qu’elles étaient rendues différemment, mais les preuves manquent actuellement. La caractéristique des voyelles du proto-basque, telle qu’on peut l’imaginer par une comparaison des formes anciennes, mais correspondantes, des langues i.-e., c’est qu’elles sont très ouvertes, comme dans la langue actuelle, au point que l’on peut se poser la question sur leur nombre véritable: /e/ et /i/ s’alternent ; /a/, /o/, /u/ s’alternaient aussi, sans doute. Les écrivains du XVIe siècle ont tendance à réduire les voyelles : LEYO LEI-(E)-GI-O “lui ferait”, et l’on entend LIO pour LEIGIO ou LEO ; comme ALDĒK/ALDĀK AGO GELDIRIK “reste tranquille”. Tant et si bien que la compréhension dans certains dialectes (Garazi) repose plus sur les quantités affectées aux voyelles/diphtongues que sur la coloration distinctive des voyelles bien déterminées par leur timbre.

L’indo-européen aurait eu six voyelles en deux séries de trois timbres : /*a/, /*e/, /*o/ brefs et longs. /*i/ et /*u/ étant des variantes vocaliques des sonnantes /*y/ et /w/ ; les longues /*ī/ et /*u/ reposeraient sur d’anciennes séquences /*iH/, /*uH/. Le schwa /*ə/ ( indo-iranien /*i/ : autres langues indo-européennes /*a/ en concordance) n’est que la représentation vocalique d’une laryngale.

Les timbres /a/ et /o/ d’époque dialectale pourraient être issues de séquences indo-européennes /*H2e/ et /*H3e/ et les longues /*ē/, /*ā/, /*ō/ /*eH1/, /*eH2/, /*eH3/. D’où l’hypothèse de la voyelle unique originelle. J. HAUDRY, op.cit., 19.

La contraction en une de deux voyelles que la morphologie met en contact n’est pas régulière en indo-européen, pas plus qu’elle ne l’est aujourd’hui dans l’euskera : les dialectes du Sud-Ouest contractent et abrègent ; il n’en va pas de même au Nord. BEHATU (ï BEGIRATU) “attention regarde !” du Nord BEITU et BITU, au Sud, cf. Gonzal MENDIVIL, chanteur. BEHAR “devoir” du Nord comporte même, pensons nous, cet /h/ épenthétique pour faire entrave à la diphtongaison réalisée allègrement au sud en BIAR ; de même, NAHI et LEHI “désir, volonté” ont le même type d’entrave NAI, LEI, au Sud. Les écrivains du XVIe siècle, suivant sans doute une démarche déjà archaïsante, multiplient les amalgames pour utiliser la conjugaison synthétique qui semble leur paraître plus comparable à celle des langues considérées nobles (latin, grec) ; LIÇARRAGUE : EZGAUNÇALA pour périphrastique EZ GAUDALA ETZANIK “ne soyons pas couchés” qui déjà maquille le radical /GO/ “demeurer” par GAUDE pour GAGO-DE, si bien qu’une faille latente des parlers dialectaux, celle des risques de confusion, se transforme en vertige. Aussi l’euskera, très en avance en cela sur les langues modernes, pour éviter la confusion provoquée par les voyelles et les diphtongaisons de la conjugaison synthétique, a pratiquement terminé la régularisation remarquable de sa conjugaison par la conjugaison périphrastique généralisée.