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TROISIEME PARTIE
La COMPOSITION de l'indo-européen, essai de comparaison
avec les équivalents de l'Euskara

 1-A - PROCEDES DE LA RECONSTRUCTION DE LA COMPOSITION
 1-B - ORIGINE DE LA COMPOSITION
 1-C - LES PRINCIPAUX TYPES DE COMPOSES NOMINAUX, classables selon le rapport syntaxique
    1 - Composés équivalant à un syntagme nominal
            •  1.a - Composés copulatifs            •  1.b - Composés déterminatifs
    2 - Composés recouvrant un syntagme prédicatif
            •  2.a - Déterminant antéposé            •  2.b - Déterminant postposé
    3 - Composés possessifs
    4 - Intermédiaires entre la composition et le syntagme
    5 - Usage de la composition nominale
    6 - La composition verbale
    7 - Conclusion de la composition

(pour l'indo-européen reconstruit, cf. J. HAUDRY, l'Indo-européen, PUF, 1979)

Elle concerne la formation d'une unité sémantique à partir d'éléments lexicaux pouvant ou ayant pu avoir une autonomie lexicale par eux-mêmes. Elle s'oppose, en principe, à la dérivation qui constitue des unités lexicales nouvelles à partir d'un radical ou d'une base en lui adjoignant des éléments puisés dans un matériel morphologique, et qui ne seraient pas ou plus susceptibles d'emploi indépendant.

A - PROCEDES DE LA RECONSTRUCTION DE LA COMPOSITION

- par superposition des modèles attestés,
- ils sont en général binaires, sauf en sanskrit, ce qui évite de s'égarer dans les interprétations. Les composés peuvent être longs, mais l'analyse dégage toujours la structure binaire (même si l'un des éléments ou les deux sont déjà des composés, immotivés, réinterprétés).
- la difficulté principale est de déchiffrer ce qui y est conservé de formes syntaxiques anciennes, et ce qui résulte de réductions, élision d'une marque syntaxique, par exemple.
B -

ORIGINE DE LA COMPOSITION

La composition nominale est de nature syntaxique : le composé comporte une syntaxe implicite du groupe nominal, de la phrase simple (fr. le cherche-midi = “hémiptère des bois”) et de certaines phrases complexes.

La tendance universelle va vers la perte des attaches syntaxiques, ce qui amène le composé dans le lexique : il finit par n'avoir qu'un seul accent et une seule désinence en i.-e. L'analogie opère dans la création de composés, les modèles étant toujours des syntagmes dont les constituants s'agglutinent plus ou moins complètement. La montagne ERROTZATE (Estérençuby) signifie “porte des ravins”, mais ERROITZ “ravin” n'a pas de désinence de génitif ; c'est donc d'une agglutination complète qu'il s'agit. Par contre, le rocher (Estérençuby) MUUNDAITZ [/MUNO/BUNU/ (village de BUNUZE/BUNUS) “éminence, colline”, cf. gr. βουνός “montagne, colline”, lat. mons, -tis “mont, montagne”] + [/AITZ/ “roche, pierre”] ne nous livre pas la signification du /D/ entre les deux éléments, pas plus que MUNUZHARRI, autre montagne (Estérençuby) abrupte et rocailleuse ne dénonce le contenu du /Z/ interne (ni BUNUS, canton d'Iholdy, le sens de la sifflante finale, sauf à interpréter le mot comme un emprunt mixé de grec et de latin à la fois !). MUUNDAITZ (Estérençuby), (Avenida de MUNDAIZ à Saint-Sébastien), a un doublet “ZORROTZHARRI” signifiant “fusil” ou “pierre à aiguiser la faux”, cf. gr. ξυρόν (xuron) “rasoir” (voir lexique BIZAR), ce qui décrit parfaitement le profil du rocher et nous précise le sens de MUUN/MUN, MONA “éruption granuleuse de la peau”, MUÑO “monticule, chignon”, MOÑOÑO “sexe féminin”, MUN “baiser”, MUNHARRI “borne”, MUÑATZ “sommet”.

La composition peut donc refléter une syntaxe antérieure, mais les réinterprétations et les réfections que subissent les composés rendent difficile d'y voir la simple conservation du syntagme. ESTERENZUBI ï ESTEBEREN ZUBI “pont d'Étienne”, historiquement attesté (du nom du meunier qui y construisit un pont), a été réinterprété comme un /*EZTER/ “ravin” ? + /EN/ (génitif) + /ZUBI/ “pont”, soit “pont du ravin”. De même la Nive d'Estérençuby prend sa source dans un lieu-dit BEHEROBI, dont le rebord du ravin qui le surplombe conserve les traces d'une chaussée empierrée KARRIKA-ZAHAR “vieille chaussée”, qui a pu servir aux animaux de trait pour traîner le bois précieux que représente le buis de ces lieux. Donc BEHOR-HIBI “passage pour jument” expliquerait la forme actuelle BEHEROBI/BEHOBI. Une réinterprétation arbitraire, tirée de l'observation de la carte où l'on voit la confluence en “Y” de deux cours d'eau au “Pont d'Estebe”, a produit le nom chimérique d'ERROBI (La Nive), soit “deux racines” !

 
C - LES PRINCIPAUX TYPES DE COMPOSES NOMINAUX, CLASSABLES SELON LE RAPPORT SYNTAXIQUE QUI LES SOUS-TENDENT

1 - COMPOSES EQUIVALANT À UN SYNTAGME NOMINAL
1.a
- COMPOSES COPULATIFS

Couple de mots formant syntagme coordonné (bsq. ARNO-TA-SALDA “chabro” ou “soupe au vin”) ou juxtaposé (bsq. DAILU-MARTELIAK “nécessaire pour battre la faux”, litt. “marteaux-faux”). L'i.-e. en offre des liaisons stables : *wī̌ro-peku-, avest. pasu-vīra, ombr. ueiro-pequo, lat. pecudĕsque vīrosque “hommes et bêtes” ; véd. virapsá “abondance” (initialement : en hommes et bêtes) ï *wiro-pkw-o.

Ceux dont le premier terme est un adjectif épithète ou un substantif apposé reflètent l'ancienne répartition des désinences dans le syntagme nominal : v. ind. candrá-mas “(brillante) lune” ne prend la suffixation féminine qu'au premier terme, comme dans návyo vácas-ā (supra). C'est toujours la règle dans la flexion du basque. De même lat. ho-diē et gr. σήμερον (*ky-āmero-), une désinence seulement pour deux composants, à la différence de got. himma daga “aujourd'hui”, les deux éléments y sont désinencés. Bsq. EGUN “aujourd'hui” /*EG-/ “jour” + /HAU/ ð /*U/ “ce” + /N/ “en”, ines-loe = “en ce jour”, semble rapporter une ancienne syntaxe plus contractée que l'actuelle (EGUN HUNTAN) qui est calquée sur le système de la flexion nominale des langues i.-e., avec les deux termes désinencés. Bsq. AURTEN = lat. hōc annō lat. anc. hornus /*hŏ-yōr-(i)-nos/ “de cette année”, est ainsi bâti : /HAU/ “cette” + /URTE/ “année” + /(E)N/ “en” = “en cette année”, et le syntagme n'a pas la syntaxe actuelle qui postpose le démonstratif, qui est antéposé dans la forme ancienne.

Les composés dont le premier terme est un substantif dont la relation au second terme n'est pas celle de l'apposition, mais celle de l'appartenance, de la possession, de la destination, etc., ne peuvent s'expliquer directement ; il faut supposer l'analogie des formes casuelles à désinence zéro, comme véd. áhar-jāta “né de jour”. Bsq. AITA-SEMEAK “père et fils”, la marque de pluriel au deuxième terme comme dans AMALABAK “mère et fille(s)”, AMUME “mère et nourrisson” dit du bétail, ovin spécialement ; BEHI-ORGAK litt. “boeufs-charette(s)”, “attelage et charette à bœufs”.
 
1.b COMPOSES DETERMINATIFS

Les composés déterminatifs (épithètes et couples) constituent des groupes nominaux à désinence unique, anciennement en i.-e., actuellement dans l'euskera. Il s'agit de :

syntagmes nominaux avec un déterminant au génitif, skr. tat-purusa- “son serviteur” = tasya purusa- ;
participe passif déterminé par un complément d'agent, véd. agní-dàgdha- “brûlé par le feu” = agnínā daghá-; bsq. SUHARTU-A “enflammé” = SUAK HARTUA, SUAK à l'ergatif ;
syntagme épithétique, gr. ἀκρό-πολις (akro-polis) “citadelle”, bsq. HEGIEDER (nom de montagne) “belle crête”, MENDIZAHAR “vieille montagne”, IHARAMENDI “mont au moulin (à vent)” ;
syntagme appositif, véd purusa-vyāghrá “tigre-homme”, bsq. GIZOTSO “loup-garou” = germ. gir-wolf = “loup (qui est) homme”.

Le déterminant précède le déterminé et c'est l'ordre des termes du syntagme : ETXAMENDI signifie “montagne (exploitée) depuis la maison” par opposition à SARO (BN) et BORTU (S) “hautes terres où la maison a une dépendance” ETXOLA, OLHA). Bsq. HARITZ “chêne”, composé de /HAR/(H)AL-/ “aliment” [URGI (XIIème S.) “pain”, ARTO “pain” et lat. uorāre] + [/ATZ/-ITZ/ “pied d'arbre, arbre”] = “arbre à pain”. HURRITZ “noisetier” avec un autre vocalisme “idem” ; HURRIL “octobre” = “lune des noisettes” ou “des cueillettes”.
 
2 - COMPOSES RECOUVRANT UN SYNTAGME PREDICATIF
2.a
- DETERMINANT ANTEPOSE

Le déterminé est un nom racine, /*medhw-éd-/ “mangeur de miel” ; véd. madhw-ád- ; v. isl. madv-ĕdŭ “ours”. Le terme désignant “l'agent” /*dH3-ter/ (E. BENVÉNISTE, Noms d'agent et noms d'action en i.-e.) répond à ce type de syntagme. Bsq. KAKABARRO/KAKAMARRO “bousier”, pour le deuxième terme, cf. BARUR “à jeun, affamé”, litt. “prêt à avaler, à dévorer”. ETXEJALE “prodigue”, litt. “mangeur de maison”. Bsq. ZUTOIN “colonne, étai, poteau” [/ZUT/ “dressé, debout”] + [/OIN/ “pied, jambe”] ; cf. avest. stū̆na/stunā, féminin, “colonne”, skr. sthā́nā, racine dans le verbe στύω (stuō) et στύομαι (stuomai) “être en érection” = bsq. ZUT-ZUTA “id.” ; στοά (stoá) “rangée de colonnes”.
 
2.b
- DETERMINANT POSTPOSE

Type qui correspond au suffixe de /*déH3-tor/ l'“auteur d'un acte” : gr. φερέ-οικος (pheré-oikos) “qui transporte sa maison”, bsq. URKABILUR “corde à pendre” de /URKA/ “pendre”, JAR-ALKI “siège” de /JAR/XER/EXER/ “(s)'asseoir”.
Ce type de composé semble issu non plus de syntagme, mais de phrases. Cf. fr. “baise-main” = “qui baise la main”, “tournedos”, “pince-nez”, “cache-sexe”, etc.
 
3 - COMPOSES POSSESSIFS

Latin vir animōsus/vir magnō animō/ vir magnanimus. Ce type de composé rend un syntagme prédicatif avec génitif d'appartenance, magnus est animus ejus. Ce sont des phrases nominales apposées ou sans relatif, “à relatif zéro”. Bsq. GIZON SUTSUA “homme enflammé” = “homme de feu”, mais le génitif peut être marqué, GOGO HANDIKO GIZONA “homme de grande volonté, courageux”, et élidé GIZON GOGOTSUA. Ce statut prédicatif explique l'absence d'accord de genre en i.-e. : grec homérique ἠὼς ῥοδοδακτυλος (ēōs ϝrododaktulos) “l'aurore aux doigts de rose”. Cette formation est courante en basque avec élision des désinences, BELDURGABE pour BELDURRIK GABEKO “sans peur”, “qui ne craint rien”, LOTSAGABE pour LOTSARIK GABEKO “sans vergogne”, etc.
 
4 -

INTERMEDIAIRES ENTRE LA COMPOSITION ET LE SYNTAGME

On trouve des composés à un accent mais ayant deux désinences en i.-e., véd. girā-vŕ̥dh “accru par la louange”. Cf. G. ARESTI :

OLERKARIA NOIZBAIT IRRI-GORAZARRE
“le poète, enfin, (est) élogieux du rire” = (il est celui) qui élève, promeut le rire.

 
5 - USAGE DE LA COMPOSITION NOMINALE

Comme on vient de le voir dans l'exemple précédent (G. Aresti), la poésie formulaire, forme implicite de la syntaxe, s'adressant à un public averti, n'a pas de problème de compréhension ; exemple, en français “tel père, tel fils”, ou en basque NOLA BIZI HALA HIL “comme vécu, ainsi trépassé”.
Les formules héritées ont souvent un composé. Les noms de personne sont souvent fondés sur la composition : CHRYSOSTOME = “à la bouche d'or”, JOFFRE ← wisigot. GOT FRINT “ami de Dieu”, variante : GOUFRAN, sans parler des pseudonymes...
 
6 - LA COMPOSITION VERBALE
(cf. J. HAUDRY pour l'indo-européen reconstruit)

Moins développée en i.-e. que la composition nominale, quelques exemples en prouvent cependant l'existence: /*kred-dheH1-/ “croire” et “confier”, qu'on peut traduire en bsq. KARIA EMAN “accorder justification” ; i.-e. /mn̥s-dheH1 / “penser”. Il s'agit au départ de syntagmes composés du verbe et de son proche complément, qui ont formé une unité lorsque s'est développé un accusatif d'objet. Bsq HERRIMIN “nostalgie” /MIN/ “souffrir, douleur” et /HERRI/ “pays” = HERRIAK MIN DAGIT “le pays me fait mal”. /MIN/ est à la base de toute la famille de lat. monēō, memor, angl. remember, gr. μάθειν (mathein), μανθάνω (manthánō) “apprendre, comprendre”, lat. memini “se souvenir”, mens “activité de la pensée”, etc. Cf. bsq. MINBERA “douloureux” ; les notions de douleur et de souvenir, pensée, sont liées dans la langue.

Le redoublement intensif (véd. bhari-bhr-, j̊ar̥-bhr̥-, de bh̥r “porter” est le vestige de syntagmes verbaux i.-e. où la désinence personnelle ne figurait qu'une fois, comme la désinence casuelle anciennement, et en basque actuellement. Bsq. DARDARIKA-TU “trembler”, “claquer des dents”, KUNKURTU “(se) courber”, ZINTZILDU “suspendre”, KIKILDU “(s)'abaisser”, DIRDIRATU, DIZTIRATU “briller”, “scintiller”, DURDURIKATU “(s)'émouvoir”, DURDUZATU “(s)'émouvoir violemment”, etc., et des tournures syntaxiques où l'élément redoublé prend la flexion et la désinence personnelles sur le deuxième terme uniquement : NAHIZ (“bien que”) EDUKI (“avoir”) DAUKAZUN (“tu en as”) EDERTASUNA (“la beauté”) “bien que la beauté, avoir, tu en as” = “bien que tu sois belle”, “toute belle que tu sois”.

En i.-e. la préverbation est une sorte de composition verbale où le verbe est déterminé et le préverbe déterminant. Il s'est développé particulièrement dans le groupe latin, en germanique, etc. L'euskera n'en a que des traces ; la préfixation y est peu développée et la préverbation encore moins. La langue moderne s'y applique en calquant sur les constructions des langues environnantes comme le fit le latin du Latium sur le grec.

 
7 - CONCLUSION DE LA COMPOSITION

Le même principe universel de l'évolution des langues est vérifié par l'histoire de la composition : la réduction des unités, du complexe au simple ; phrases, syntagmes prédicatifs, syntagmes nominaux deviennent des lexèmes, d'abord motivés, puis progressivement immotivés. Tant et si bien que nombre de termes sont parvenus à échapper à l'analyse des étymologistes ou ont donné lieu à des interprétations dites “populaires”, sans aucun rapport avec la vraie nature des termes : ἄρτος (artos) “pain de blé” mycén. atopoqo = ἀρτοποκwος (artopokos) “boulanger”, que HUBSCHMID, Sardische studien, 104, rapproche de basque ARTO “pain de maïs”, voire castillan (une fois n'est pas coutume) artal. Or bsq. ARTO était déjà le nom du pain de millet avant l'introduction du maïs à Uztaritz (cf. l'agronome P. GACHITEGUY, o.s.b.). La racine /AR/OR/ se retrouve dans d'autres noms d'aliments : urgi (XIIème S.) ð moderne OGI ; /HAR-/ de HARITZ “chêne” ; /HUR-/ de HURRITZ “noisetier” ; /UR-/ de GILTZAUR “noix” ; dans le verbe /ALA-/ “pâturer” ; le substantif ELIKAGAI “aliment” et le verbe ELIKA- ; dans l'adjectif verbal BARUR/DADUR “à jeun, affamé” ï lat. i-eu-nus “affamé”, /i/ privatif + /ed-/ (edere “manger”), etc. ; enfin, lat. uorō “avaler, engloutir”, lit. geriù “j'avale”, arm. aoriste keray “j'ai mangé” et bsq. BARRU “intérieur, ventre”, GERRI “ventre”, KAKABARRU “bousier”, etc.

Le décompte et l'analyse de telles situations pourraient constituer le sujet d'une autre thèse.